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Dialogue social en panne : le gouvernement face à la dérive incontrôlée de la sous-traitance

Au Gabon, la réalité du travail salarié se dégrade silencieusement.

 

Derrière les discours officiels sur la "dignité professionnelle" ou le "dialogue social", un autre système s’est imposé : celui des entreprises de mise à disposition de personnel.

Ce modèle, massivement utilisé, précarise les travailleurs tout en contournant les obligations sociales des employeurs.

 

Mais cette dérive n’est pas fortuite. Elle découle directement de l’inaction autour de deux instances clés prévues par le Code du travail :

 

le CSST (Comité de Sécurité et de Santé au Travail) et le CPCES (Comité Permanent de Concertation Économique et Sociale).

 

Deux organes conçus pour structurer la vie sociale dans l’entreprise… mais trop souvent ignorés ou rendus inopérants.

 

Faute de comités fonctionnels, les abus se multiplient

 

Les récents articles de Gabonreview, Gabon Media Time et du Transoire l'ont clairement montré : la situation dans le secteur pétrolier est alarmante.

 

L’Organisation nationale des employés du pétrole (Onep) dénonce des pratiques persistantes de sous-traitance abusive, de non-respect des grilles salariales et d’absence de couverture sociale.

 

Les ministres du Pétrole et du Travail eux-mêmes reconnaissent que certaines entreprises, y compris des multinationales, utilisent des prestataires ou agences de placement comme écrans pour échapper à leurs obligations légales.

 

Pendant ce temps, les travailleurs sous contrat d’intérim vivent dans une précarité chronique, sans perspective, sans sécurité et parfois sans considération.

 

 

Une organisation volontairement affaiblie

 

Dans la pratique, les textes gabonais ont vidé les comités sociaux de leur efficacité.

 

Le CPCES, censé organiser le dialogue économique et social, n’a qu’une obligation légale minimale : se réunir "au moins une fois par an".

Cette formulation permet à la majorité des entreprises de ne tenir qu’une réunion annuelle, purement formelle, sans ordre du jour ni décision réelle.

 

Pourtant, le CPCES s’inspire directement de l’ancien Comité d’Entreprise en France, qui imposait au minimum une réunion mensuelle.

En France, les représentants avaient également le droit de faire appel à un expert-comptable indépendant, financé par le budget du CE, pour analyser les comptes ou les projets économiques. imaginez au Gabon, les employeurs feraient bloc pour refuser cette démarche. 

 

Le CPCES est devenu une coquille vide, affaiblie par des textes insuffisants.

 

Le décret 000739/PR/MTE, qui régit sa mise en œuvre, ne tient que sur quatre pages, contre plus de vingt dans la réglementation française équivalente.(l'ancien CE)

 

Résultat : un comité accordé sur le papier, mais sans réelle capacité d’action.

 

Le CSST, quant à lui, est encore plus mal en point.

 

Dans la majorité des entreprises, aucune réunion n’a lieu sur toute l’année.

 

Le Document Unique d’Évaluation des Risques, quand il existe, n’est ni mis à jour ni suivi d’un plan d’action. La prévention reste donc théorique.

 

Ces deux comités existent dans les textes, mais sont totalement inactifs dans les faits.

 

Et tant qu’ils ne seront pas renforcés dans leur structure, leur fréquence de réunion et leurs moyens, ils resteront des outils de façade, incapables de jouer leur rôle de rempart contre les dérives du monde du travail.

 

Comment expliquer qu’à la fin de l’année 2025, aucune entreprise au Gabon ne soit capable de faire fonctionner convenablement ces deux comités pourtant obligatoires ?

 

 

Les entreprises contournent, l’État promet… mais rien ne change

 

Le ministre du Pétrole, Sosthène Nguema Nguema, a récemment lancé un avertissement contre les dérives de la sous-traitance et annoncé des audits, des sanctions, et la moralisation des pratiques.

 

Mais tant que le fonctionnement du CPCES et du CSST ne sera pas rendu obligatoire dans les faits et soutenu dans les textes, ces déclarations resteront sans effet. Les entreprises continueront à exploiter les failles juridiques existantes.

 

 

Quelle réforme concrète pour faire appliquer les comités sociaux ?

 

Plutôt que de multiplier les sociétés de mise à disposition de personnel ou de moraliser à vide un système de sous-traitance incontrôlable, il est temps d’agir de manière structurelle.

 

1 - Renforcer les textes pour imposer des réunions trimestrielles obligatoires du CPCES et du CSST, et soutenir leur mise en œuvre dans les entreprises.

 

2 - Sanctionner toute entreprise qui ne met pas en place ces comités ou qui les rend volontairement inactifs. C'est un Délit d'entrave. 

 

3 - Faire des délégués du personnel et des délégués syndicaux les garants du bon fonctionnement de ces instances.

 

4 - Encadrer les cabinets privés spécialisés pouvant accompagner les entreprises, tout en limitant les administrations étatiques à un rôle de contrôle et de supervision. On ne peut pas être juge et partie, à la fois formateur et contrôleur.

 

À quoi ressemblerait un CPCES bien structuré ?

Un CPCES bien fonctionnel permettrait :

 

  • d’anticiper les conflits sociaux
  • de donner aux salariés un espace d’expression
  • de réguler les changements internes sans tension
  • de proposer des solutions partagées sur les sujets de productivité et d’organisation

 

Un CSST actif, quant à lui, réduirait les accidents de travail, les arrêts maladie, améliorerait le climat de travail, et renforcerait la culture de prévention dans l’entreprise.

 

Tant que ces comités resteront inactifs, les discours sur la dignité du travail ne seront que des slogans creux.

Il est temps que les employeurs, les syndicats et les autorités reconnaissent la centralité de ces outils dans la construction d’un environnement de travail équilibré et durable.

 

 

Pourquoi les entreprises se tournent-elles vers les sociétés de mise à disposition ?

 

Le recours aux entreprises de mise à disposition s’est généralisé pour deux raisons fondamentales, que seul un CPCES ou un CSST bien structuré pourrait résoudre.

 

1. La gestion sociale devenue trop conflictuelle

 

De nombreux employeurs se plaignent de relations sociales tendues et ingérables.

Les salariés sont perçus comme revendicatifs, les délégués syndicaux comme trop puissants. Chaque conflit devient un risque de blocage.

 

Plutôt que d’apaiser ces tensions via le dialogue, les dirigeants préfèrent les externaliser : prestataires, contrats précaires, intérimaires.

 

Mais si les réunions du CSST et du CPCES étaient régulières, suivies, et correctement animées, alors :

 

  • les tensions pourraient être traitées en amont
  • les représentants des salariés seraient associés aux décisions
  • les conflits seraient désamorcés par le dialogue
  • l’entreprise gagnerait en stabilité sociale

 

2. Le besoin de flexibilité dans la gestion des compétences

 

Autre justification avancée : la nécessité de souplesse.

Les entreprises souhaitent pouvoir embaucher ou remplacer rapidement, sans contrainte ni lourdeur administrative.

 

Les CDD à répétition deviennent la norme, souvent à travers des prestataires. Les compétences locales sont jugées insuffisantes, et les recrutements sont externalisés.

 

Là encore, un CPCES fonctionnel apporterait une réponse efficace :

 

  • par la mise en place de fiches de poste adaptées au travail réel
  • l’automatisation de la gestion des salarié notamment dans leur formation et leur suivi
  • l’instauration de parcours d’intégration et de formation continue
  • et la planification des besoins RH, au lieu de réagir dans l’urgence
  • le suivi des comptes de l'entreprise 

 

Avec un système clair, l’ajustement du personnel ne serait plus un drame, mais un processus encadré.

 

En résumé : le CSST et le CPCES sont la réponse à une dérive devenue systémique

 

Les entreprises ont transformé la précarité en méthode de gestion.

 

Mais ce recours permanent à la sous-traitance est un pansement sur une organisation malade. Il fragilise la cohésion, détruit la confiance, et crée un monde du travail sans stabilité.

 

Le CSST aurait dû prévenir les risques, améliorer les conditions de travail, et renforcer la culture du dialogue.

Le CPCES aurait dû structurer l’organisation, suivre les compétences, et désamorcer les tensions.

 

 

Et si l’État faisait aussi sa part ?

 

L’une des rigidités du système actuel réside aussi dans la législation sur les CDD.

Leur renouvellement est limité à une seule fois, ce qui pousse de nombreuses entreprises à contourner la règle par le biais de prestataires.

 

Dans un contexte de projets temporaires, cette contrainte est peu réaliste.

 

Il serait temps que l’État revoie ce point, en assouplissant la règle dans un cadre collectif et encadré par le CPCES, afin de :

 

  • permettre plus de souplesse aux employeurs
  • tout en garantissant un suivi et une transparence.

 

Reprendre le contrôle, ensemble

 

Les entreprises ont besoin de souplesse. Les travailleurs ont besoin de sécurité.

Le rôle de l’État n’est pas de trancher pour l’un ou l’autre, mais d’organiser un cadre de dialogue social efficace.

 

Tant que cela ne sera pas une priorité, la sous-traitance abusive prospérera.

Et les réformes resteront des promesses sans portée réelle.

 

Steeven BEKALE

Consultant – Formateur Dialogue Social et Prévention des Risques Professionnels

BEKS CONSULTING GABON

 

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